Pourquoi?
Pourquoi fut mon premier mot. Alors que la plupart des bébés se disputent un "maman" ou un "papa", qui font la joie de leurs parents, les miens, perplexes, ont assistés à un "pourquoi", dépités. Je suppose que les avantages du point de vue scolaire que peuvent apporter une telle prédétermination à la curiosité scientifique et intellectuelle les ont par suite pleinement rassurés, et que la fierté de me voir par la suite réussir là où ils l'espéraient a éludé cette déception de ne pas avoir en premier prononcé leur nom. Pourquoi, donc fut mon premier mot. Je l'ai ensuite tellement utilisé que je ne saurai dire combien de fois je me suis retrouvé le cul par terre à demander "pourquoi?".
On comprend donc pourquoi j'ai tot fait d'apprendre à utiliser ce mot. Le malheur, c'est qu'alors que je m'époumonais, que je m'exerçais à parler pour pouvoir poser ce "pourquoi?", il semblerait qu'autour de moi, aucun bébé n'ait été prédisposé à me répondre en prononçant comme premier mot "parce que". Mes questions sont toujours restées sans réponses. Que je demande pourquoi ma famille est différente, pourquoi les gens que j'aime d'en vont sans prendre le temps de m'expliquer ou meurent violemment, pourquoi mon bonheur fait tant de mal autour de moi, tout simplement pourquoi je suis encore là, personne n'ose avancer un "parce que". Vous me direz, je n'attend de personne d'avoir prononcé un "parce que" à la naissance pour me répondre, mais il faut reconnaitre qu'on pourrait y voir un certain professionalisme, une capacité innée pour me répondre. Je me contenterai d'un banal prononceur de "maman", tant qu'il puisse m'apporter un élément de réponse. Mais les gens semblent fuir devant ce problème, ils ont semble t'il une certaine appréhension à me répondre, comme si le fait de rationnaliser ce qui m'arrive pouvait le rendre contagieux. On préfère largement ne pas comprendre, car ainsi, ça n'arrive qu'aux autres.
Seulement voilà, l'autre c'est moi. Et le fait de me personnaliser doit vraiment effrayer, si bien que tous ceux trop proches de moi préfèrent fuir.
A force de ne pas comprendre, j'ai fini par adopter certaines logiques illogiques comme des vérités absolues, indiscutables. Ce qui explique certaines de mes réactions spontanées, si peu naturelles aux gens normaux. Ceux ci ne me comprennent pas, et, comme à mon habitude, je me demande: Pourquoi?